Extrait Le disparu du Mas d'Azil

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Extrait, le disparu du Mas d'Azil

Le chemin continuait, délimité par une barrière métallique où l’on devinait quantité de galeries et de cavités qui se perdaient dans la nuit totale. Au bout de quelques minutes, Clément se décida à allumer sa lampe. Il s’arrêta et dirigea le faisceau de lumière sur les parois obscures de la grotte. Audrey ne disait mot tout en observant ce que voulait lui montrer Clément.

  - C’est ici.
Sur ces mots Clément commençait à enjamber la barrière métallique quand il entendit des bruits de pas qui se rapprochaient.
  - Attendons, on vient.
Le groupe de touristes précédé par la jeune guide Coralie croisa Clément et Audrey qui faisaient mine d’admirer la voûte rocheuse. Une fois les bruits de pas éloignés et que le groupe eut totalement disparu dans la nuit, Clément escalada le premier la barrière métallique.
  - On va pouvoir y aller.
  - C’est pas interdit ? Questionna Audrey, un peu inquiète.
  - Dépêchons-nous… Objecta rapidement Clément. Tu verras… C’est magnifique.
 Audrey enjamba la barrière et se retrouva face à une étroite galerie plongée dans le noir. Appeler galerie cet endroit serait plutôt surfait. Cela ressemblait à une énorme faille dans la roche. Suffisamment étroite pour qu’Audrey et Clément avancent de profil, accentuant une impression désagréable d’écrasement. La paroi de calcaire avait été lissée par le travail de l’eau depuis des millions d’années. Maintenant, la grotte n’avait plus de traces d’humidité ni de concrétions comme des stalactites, elle était appelée par des spéléologues grotte sèche. Audrey commençait à trouver le parcours un peu long.
  - On va bientôt arriver ?
  - Plus que quelques mètres.
  - Enfin.
Audrey obligée d’avancer de profil, le visage contre la paroi n’entendit plus de bruit. Elle tourna la tête effrayée de ne plus voir la lumière de la lampe de Clément.
  - Clément ! Où es-tu ? Je ne vois plus rien ! Clément ! Clément !
Audrey poussa un hurlement. Clément était resté tout près de sa cousine, lampe éteinte et l’avait rallumée éclairant seulement le bas de son visage de petit lutin facétieux.
  - Pas si fort ! Tu vas ameuter tout le Mas-d’Azil.
  - Tu m’as fait peur.
  - Je voulais seulement détendre l’atmosphère.
  - C’est réussi. Alors on continue ou on s’en retourne ? Demanda Audrey.
  - Le passage va s’élargir.
En effet au bout de quelques mètres, l’étroit passage déboucha sur une vaste salle que l’on devinait au balayage du faisceau de la lampe de Clément. Audrey remarqua rapidement les nombreuses galeries qui en partaient.
  - J’ai comme l’impression qu’on va se perdre. Les futurs archéologues trouveront nos os.
Cette réflexion fataliste de sa cousine déclencha le rire de Clément.
  - Ils trouveront bien des hypothèses pour expliquer notre venue.
  - Dans l’immédiat, je proposerais de retourner dans cette faille au moins, nous retrouverons
le chemin des touristes.
Clément avec le faisceau de sa lampe cherchait un indice sur le bord de la galerie puis immobilisant la lampe.
  - C’est bon ! Voilà la galerie. Elle est assez large sans problème.
Audrey regardait le signe ou le dessin qui marquait la galerie que voulait prendre Clément. Il s’agissait d’un animal peint sur la roche dans les tons ocrés avec une fourrure abondante. Il possédait deux bosses bien distinctes et un long cou. Elle était émerveillée par le dessin qu’elle découvrait.
  - C’est pas vrai ! Un chameau ! Ils ont dessiné un chameau. Je pensais à tout sauf à cela ! Des bisons, des ours, des mammouths, mais un chameau.  Comment tu l’expliques Clément ?
  - Euh…  À vrai dire… Répliqua Clément un peu embarrassé. C’est moi qui l’ai dessiné.
  - Bravo Clément ! Venant de toi ! Cela me surprend.  Sur un site classé.
  - Je sais… Mais c’est avec de la craie. Cela me sert de repérage.
  - Je suppose qu’il faut suivre ce passage.
  - On ne peut rien te cacher.
Précédée par Clément, Audrey s’engageait dans cette nouvelle galerie. Elle paraissait assez large. La voûte devait être suffisamment haute, car elle se perdait dans l’obscurité. Elle obliquait légèrement vers la droite en se resserrant peu à peu. 
Audrey se rendait compte que ses pieds s’enfonçaient légèrement sur un sol qui n’était pas meuble.
  - Cela sent mauvais.  D’où vient cette odeur ?
  - Le sol est jonché de fientes de Chauves souris. Il y en a toute une colonie au dessus de nous dans les creux de la roche. Je ne les éclaire pas pour ne pas les effrayer.
  - C’est moi qui le suis. Elles me font peur.
  - Pas de panique !  Elles sont inoffensives. Le soir, elles sortent des grottes pour chasser les insectes. Elles ont comme un radar. Elles peuvent se diriger dans la nuit totale sans heurter un obstacle.  C’est incroyable !
Audrey apercevait dans la pénombre des petites formes noires agglutinées sur le haut de la voûte.
  - Tout ce que je leur demande.  C’est de rester en haut. Et surtout qu’elles ne s’oublient pas quand je passe.
Clément amusé avança prudemment dans la galerie puis immobilisa le faisceau de lumière de sa lampe sur le bas de la paroi rocheuse.
  - Nous y sommes.
Audrey écarquillait les yeux et ne réussissait qu’à deviner une cavité sombre au bas de la paroi fermée par une épaisse grille en fer.
  - Où ça ?  Là dedans ?
  - Faudra ramper juste quelques mètres.
  - Non !  Je t’attends !  Trop étroit !  On va étouffer ! De toute façon, c’est plus possible. La grille doit être fermée.
Clément, avec un air malicieux sortit de sa poche une clé et la montra dans le faisceau de la lampe à Audrey.
  - No problème.
  - Comment tu as pu l’avoir ?
Clément ouvrit la grille avec un accent faussement Sicilien.
  - Les amis.  Cela compte.
Clément se mit à plat ventre et s’engouffra dans la galerie puis s’adressa à sa cousine qui visiblement hésitait à le suivre.
  - N’aie pas peur. À peine quelques mètres. Jean, le photographe est venu. Il est passé sans problème. Pourtant, il est assez grassouillet.
Audrey se décida à suivre Clément dans l’étroit boyau.
  - Heureusement, le sol est propre.
  - C’est lisse.
Précédée par Clément Audrey avança en rampant sur ce sol poli par le travail de l’eau.
  - Ça va ?
  - J’espère que cela ne va pas durer des heures.
  - Tu sens pas de l’air ?
  - Oui. Un courant d’air frais.
  - Nous arrivons ! C’est une grande salle. Le sol est au même niveau.
  - Une bonne nouvelle ! Au point où l’on en est. Je me voyais aboutir sur un précipice et faire de l’escalade.
 
L’étroit passage laissa la place à une large cavité. Ce n’était pas sans déplaisir qu’Audrey put se remettre sur ses pieds et savourait ce grand espace que l’on devinait dans l’obscurité.
  - Tu vois !  C’était facile !  Je t’ai pas menti, lança Clément sur un ton encourageant.
Audrey se demandait bien ce que Clément voulait lui montrer dans cette salle plongée dans le noir.
  - Qu’est-ce qui vaut le détour ? Et que…
Audrey ne put continuer sa phrase. Le faisceau de la lampe de Clément éclairait des dizaines de peintures pariétales représentant des bisons, ours, des loups et un troupeau de chevaux. Au fur et à mesure que Clément faisait lentement naviguer le faisceau de la lumière de sa lampe sur les parois de calcaire, d’autres figures d’animaux aux dominantes ocrées et avec des contours sombres apparaissaient devant les yeux émerveillés d’Audrey.
  - C’est magnifique ! On dirait qu’elles ont été peintes maintenant.
  - La couleur n’a pas bougé. Ils utilisaient des colorants minéraux comme l’ocre.
  - Le Manganèse ou le Feldspath. On l’apprend en science naturelle. Ils mélangeaient de la graisse animale comme liant. Le contour des dessins était réalisé au charbon de bois.
  - Cela permet de dater précisément la période. Soit 14 000 ans.  L’époque de Magda
  - Tu connais la technique de datation la plus connue.
  - Pas trop ! J’avoue que c’est assez obscur.
  - À l’école le prof en a parlé. Mis au point depuis 1940, les scientifiques peuvent dater tous les êtres vivants avant 40 000 ans. Chaque organisme a une teneur en carbone 14 du fait d’échange permanent avec l’atmosphère. À leurs morts tout s’arrête et la teneur en carbone 14 faiblement radioactif décroit. En mesurant le taux en carbone 14 d’un échantillon, on peut déterminer l’âge avant sa mort selon une équation ou échelle préalablement établie. Pour les êtres plus anciens, les chercheurs ont recours à d’autre méthode comme le potassium argon ou le … Je ne m’en rappelle plus... Ah Si ! Le ther… mo… lu… minescence… Thermoluminescence… Ouf.
  - C’est bien ce que je disais. Objecta Clément, impressionné par les explications de sa cousine. J’y comprends toujours pas.
  - Laisse tomber pour l’instant.
Audrey contemplait la peinture d’un renne majestueux au ton ocre qu’éclairait Clément avec sa lampe.
  - Regarde Clément ! Comme l’artiste a su prendre parti du relief de la roche pour le rendre encore plus vivant. La calcite blanche formée naturellement met en valeur le poitrail. Le large creux de la roche donne l’impression que l’animal est au bord d’une rivière. C’est magnifique !  Il parait tellement vivant.
  - Oui !  Il a utilisé visiblement la technique de la peinture soufflée.
  - Qu’est-ce que tu veux dire ?
  - L’artiste souffle de sa bouche un mélange de liant et de colorant. Parfois, il se sert d’une sarbacane. Cela permet d’obtenir des dégradés flous restituant le volume du corps.
  - Comme le dessin de la main. Elle parait en négative.
  - Tu as compris !  L’artiste a posé sa main puis il a soufflé dessus le colorant et a retiré sa main.
  - Et il a signé son œuvre.
  - Certainement.
  - Éclaire un peu plus haut.  S’il te plaît.
Clément découvrait avec le faisceau de sa lampe les dessins d’un bison et d’un cheval.
  - Au bas !  Il y a beaucoup d’empreintes de main. Elles ne sont pas en négatif.
  - Bien vu !  Ils ont enduit la main de colorant et l’ont posé simplement sur la paroi rocheuse.
  - Il manque des doigts.
  - Certains pensent qu’il pourrait s’agir d’un code.
Audrey, impatiente de tout observer prit la lampe de poche des mains de Clément et éclaira la voûte.
  - Encore des bisons ! Tout est peint ! Comment faisait-il pour y accéder ?
  - Éclaire après le dernier bison. Un peu plus bas.
Le faisceau de lumière éclairait de nombreuses cavités creusées régulièrement dans la roche. 
  - L’emplacement de poutres de bois.  S’écria Clément. Tout simplement des échafaudages.
  - Ingénieux.
  - Parfois, ils se contentaient d’échelles. Ne pourrait-on pas montrer de telles merveilles au public ?
  - Pas facile d’accès. De plus, ils veulent éviter la dégradation avec le gaz carbonique des visiteurs et la lumière.  Les couleurs n’ont pas bougé depuis plus de 14 000 ans. C’est extraordinaire !!!
Audrey ne se lassait pas d’éclairer et de découvrir les parois finement décorées.
  - Pourquoi ont-ils voulu peindre dans des endroits aussi difficiles d’accès.
  - Comme toutes les grottes. Les Paléontologues les interpréteraient comme des sanctuaires avec des rituels secrets qui ne seraient accessibles qu’aux initiés ou aux chasseurs guerriers ou futurs hommes ou femmes.
Audrey éclairait le fond de la salle découvrant dans la légère pénombre l’entrée de la deuxième galerie.
  - Clément !  Ça continue !  On y va ?
  - Non !  Vaut mieux pas !  Objecta Clément inquiet. Je connais pas ! On pourrait se perdre. Les grottes recèlent énormément de galeries.
Le charmant visage d’Audrey s’approcha de Clément.
  - Fais-moi plaisir.  Juste quelques mètres.
  - D’accord. Je te reprends la lampe. Nous n’irons pas loin.
  - Entendu.
Clément suivi d’Audrey s’enfonça dans cette nouvelle galerie dont le sol poli descendait graduellement. Clément n’était pas trop tranquille, car il s’aventurait vers l’inconnu. Soudain, il sursauta au cri de sa cousine.
  - Éclaire !  Éclaire !   Clément.
Le faisceau de la lampe mettait en évidence un énorme bison dont les contours avaient été gravés dans la roche.
  - Nous allons de merveilles en merveilles. Comme les explorateurs. On s’enfonce dans ce sol.
  - Des fientes de Chauves-souris. Il y en a une sacrée épaisseur.
Instinctivement, Audrey leva la tête malgré l’obscurité de la voûte qui rendait toute observation illusoire.
  - Et au dessus ! Cela doit être une mégapole.
  - Elles sont trop sèches. Objecta Clément. Il y a bien longtemps qu’elles ont changé d’endroit.
Audrey regarda le sol.
  - Toute cette pierraille.  Mais…
Elle voulut ramasser de fins débris de pierres quand Clément lança à l’attention de sa cousine.
  - C’est du silex.  Fait attention !  Cela coupe aussi bien qu’un rasoir.
En effet parmi les silex à l’état brut Audrey apercevait des éclats taillés aussi transparent que du verre. Clément saisit une grosse pierre en forme de coupelle recouverte de débris de roches.
  - Cela servait de lampe. Ils la remplissaient de graisse animale, avec une mèche. Il vaut mieux s’en retourner maintenant.
  - Encore un petit moment.
Nos deux aventuriers reprenaient la progression. La galerie s’élargissait pour former une large cavité d’où l’on pouvait entendre un bruit d’eau. Clément éclaira avec sa lampe le mince filet d’eau.
  - Une source ! Elle tombe en cascade le long de la paroi.
  - Regarde Clément !  Des chevaux peints ! Il y en a partout ! C’est fou !
  - Tu ne regrettes pas d’être venue ?
  - Cela vaut mille fois le détour.
  - Il vaut mieux s’en retourner.
  - Tu as raison. Soupira Audrey à contrecœur.
Le faisceau de la lampe tenue par Clément éclairait le dessin d’un renne reconnaissable aux contours sombres et à ses bois. Audrey en observait attentivement les dimensions.
  - La grandeur du dessin. Il fait bien plus de deux mètres.
  - Allez ! Repartons sur nos pas, ordonna Clément qui commençait à s’impatienter. Il fallait retourner, car il s’était rendu compte que sa
lampe scintillait par moments. Les piles commençaient à montrer des signes d’épuisement. Il préféra ne pas le dire à sa cousine pour ne pas l’inquiéter. Celle-ci regardait toujours le dessin.
  - Attends Clément ! Éclaire le bas du renne. Il y a des empreintes de mains.







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